Lucarne

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

2009 fév. 10

Dexter 03x04 : All in the family

Dexter Dexter. Animal. Et bientôt « bras de dieu ». L’orientation choisie par les scénaristes pour la relation entre Dexter et Prado abolit tous les doutes soulevés. Se dessine le dessein du procureur, nouvel ami et père de substitution. La morale dans Dexter a toujours tenu une place centrale. Qu’elle s’exprime par les actes de son personnage principal. Ou par ce fameux code. Instrumentalisation d’une pathologie au service d’un vaste projet de vigilante. Dans la seconde saison, ce code paternel fut entaché par une poignée de souvenirs et autres révélations déductives. On voyait également comment il pouvait être détourné, adapté à de nouvelles situations. Aujourd’hui ce code prend une tournure protéiforme. Trouvant une justification a posteriori (choix un peu facile des scénaristes), qui consiste à chercher l’origine de l’exécution après cette dernière. Et dans l’acte préventif dans le but de protéger sa descendance (ou assimilée). Chez Dexter, la relation entre son cerveau reptilien et le néocortex possède un caractère bien particulier. Sans que l’on sache qui commande l’autre. Entre rationalisation des pulsions et instincts primaires réflexifs. Sa place en chef de meute lui ordonne une nouvelle posture de protecteur (chose esquissé dans la première saison autour de l’ex mari de Rita). Et avec la paternité prochaine, s’annonce les questions d’héritage. Héritage pathologique contre enseignement « théorique ».

2009 fév. 8

Heroes 03x08 : Villains

heroes.jpg La nature du temps est une donnée malléable dans Heroes. La série a souvent eu recours aux sauts temporels et s’est toujours amusée à explorer passé comme futur pour mieux révéler les enjeux d’un présent en danger. Dans une morne saison trois aux allures de mauvaise saga familiale, la perspective de révéler un certains passé ne provoque guère l’émoi.

One year earlier. Base temporelle de l’épisode. Peu de temps avant le début de la série. Et exposition du syndrome du complexe du scénariste. Ses envies de grand ordonnateur. Sa volonté démiurgique de maîtriser le récit dans ses moindres arcanes. D’être capable de tisser des liens, comme autant de fils tendus dans le loft d’Isaak. De révéler jusqu’à l’excès, les différents évènements qui ont précédé le pilot. Comment les personnages sont ce qu’ils sont. Et ce qu’ils furent.

Projetons nous aussi dans le passé pour quelques secondes. Heroes, première saison, véritable buzz publique et critique. Tout le monde en parle : Save the cheerleader, save the world. Réplique au culte immédiat, brillant aux côtés de I’ll be back ou May the force be with you. Seconde saison, les grandes attentes. Et catastrophe, la série est conspuée un peu partout, la grève des scénaristes ampute le show et Tim Krig fait des excuses publiques. Troisième saison, les grandes promesses. Mais les audiences sont en baisse perpétuelle et les critiques (justifiées) guères tendres.

Volonté de revenir trois pas en arrière, histoire d’œuvrer dans ce que l’on parvenait encore à maîtriser et qui remportait du succès ?

A vouloir ainsi revisiter constamment le passé proche et expliciter tous les mouvements des personnages, les auteurs étouffent la mythologie de leur show. Ils placent les différents protagonistes comme autant de pions sur un grand échiquier, et imposent des corrélations accessoires. A-t-on vraiment besoins ou envie de tout savoir ? De remuer le passé de certains personnages dans le seul but d’admirer l’esbroufe des scénaristes, qui ont tout planifié ? Dans le contexte de cette saison, seule la « non-mort » d’Arthur Petrelli avait de l’importance et de l’intérêt. Mettre en lumière les circonstances qui ont poussé à sa disparition. Le reste est de la poudre aux yeux jetés à des spectateurs qui n’ont pas besoins de savoir comment les auteurs sont capables de jongler dans le passé, mais plus soucieux de savoir comment ils vont rendre le présent plus intéressant.

Une seule et notable exception : les séquences entre Hiro et sa mère. Peut-être les plus belles de la série depuis ses débuts. Un moment dépouillé de tout enjeu. Sans aucun intérêt dans la trame de l’histoire. Mais devient par la grâce d’un moment éphémère, une beauté immédiate, que seule le cinéma est capable de générer.

Un épisode d’auteurs comme acte masturbatoire ou en manque de performances d’équilibristes. Un condensé d’épate gratuite et d’auto-complaisance.

2009 fév. 4

Damages 02x01 : I lied, too

Damages.jpg Damages figurait parmi les excellentes surprises de la rentrée 2008. Ce thriller judiciaire à la narration protéiforme servit d’écrin pour la performance de Glenn Close en femme forte et avocate manipulatrice, un rôle sur mesure. Après son interprétation dans la saison 04 de The Shield, il faut croire que l’actrice a définitivement trouvé dans la télévision son nouveau terrain de prédilection à même de mettre à l’épreuve ses talents. Après une remarquable première saison qui bouclait les principaux arcs narratifs, on attend de pied ferme la suite, avec en point de mire, la chute annoncée de Patty Hewes.

Le flash-forward était un outil efficace dans la saison un. Un outil qui permettait à la série de se distinguer. Son utilisation entraînait quelques séquences convenues, sa photo relevait du gadget, mais quand les deux lignes du temps se rattrapaient, l’effet était saisissant. Un accessoire narratif qui pimentait une solide et rigoureuse première saison. Mais comme tout accessoire, il demeure dispensable.

Alors quand on est à nouveau cueilli par ce procédé, on ne peut s’empêcher d’éprouver un brin d’amertume. Où l’on transforme un outil en gimmick. En reproduisant ainsi le schéma de la première saison, les auteurs semblent vouloir nous dire que le flash-forward fait parti de l’identité du show. Comme 24, la série repose sur un procédé narratif avant son scénario ou ses personnages. Dommage de réduire Damages à cette distinction, quand la série a surtout démontré ses qualités sur son nébuleux script addictif et ses personnages principaux.

On pénètre donc dans cette seconde saison par ce monologue qui ne fonctionne pas à cause du besoin primaire de garder intact le suspense. La situation, par cet outil, est classique et entraîne les questions d’usage : A qui parle-t-elle ? Tue-t-elle vraiment ? Cependant, on est pris d’une sorte de malaise devant cette séquence embarrassante, où le trait, forcé, devient artificiel.

Ce 02x01 sert avant tout de transition. L’intrigue reprend peu de temps après l’issue de la précédente saison et il est surtout question de faire le point. Tout en ménageant les différents axes possibles à venir. Le trauma d’Ellen est traité un peu lourdement (mine résignée, séquences thérapeutiques trop nombreuses, pathos appuyé), la culpabilité de Patty fonctionne sur une jambe (la vision de Fisk est de trop, mais l’effondrement dans son bureau, du point de vue d’Ellen, est fort réussie ; le cauchemar, outil trop facile). Les deux femmes ont en commun une double apparence, que l’on cache aux autres et presque autant à soi-même. Où comment les signes extérieures de réussites s’affichent en public quand on dissimule la sombre vengeance ou la culpabilité dévorante.

Ces deux émotions ont déjà été largement traitées dans le monde des séries comme celui du cinéma. Ces derniers temps, on a plus souvent eu droit à quelques relectures périmées du genre, avec effets sursignifiés. On verra comment les scénaristes vont traiter cet élément important de l’histoire, pour ne pas dire essentiel, dans la continuité la plus parfaite de la première saison. Si le gimmick du flash-forward signifie une volonté de reproduction, l’évolution des personnages sera le facteur décisionnaire sur la réelle compétence des auteurs dans l’optique de créer une œuvre totale, et non deux saisons qui tentent de s’imbriquer artificiellement.

2009 fév. 2

24, Redemption... in process ?

24_redemption.jpg Au moins peut-on voir dans ce prequel une volonté de sortir d’un schéma qui virait à l’asphyxie. 24 a perdu une année, et ce préambule tente de combler les blancs d’une mise au point. Sans pour autant faire table rase du passé. Capitalisation d’une recette qui présente toujours plus ses limites, mais créé néanmoins une forme d’addiction. Chaque année, les critiques virulentes pleuvent. Tout comme ces spectateurs reviennent pour suivre la nouvelle journée. Malgré des ficelles qui grossissent toujours plus, il reste des choses intéressantes à exploiter. Et la série n’a pas son pareil pour témoigner de notre époque dans une optique politique autocentrée sur l’Amérique. Pendant six années, 24 fut la série la plus représentative de l’ère Bush. Sa politique intérieure comme étrangère, cette façon de commenter le monde, sa structure géopolitique avec l’angle unique d’une vision très « maître du monde » qu’adoptent communément les Etats-Unis. Une chasse au terrorisme, l’axe du mal versus l’axe du bien. Vision d’un monde sécuritaire présentant toujours plus ses failles. Où la redondance d’éléments scénaristiques devenaient une critique acérée des méthodes, moyens et résultats d’une telle entreprise.

Cette rédemption est la fois celle d’un héro fatigué et d’une série qui ronronne dans le mauvais sens du terme. On s’échappe de Los Angeles, on évacue la CTU. Enfin il y a ce sentiment culpabilisateur. Les nombreux reproches quant à la nature même du show et la polémique autour d’une apologie de la torture, ont travaillé les producteurs comme scénaristes. En effet, il est question d’un Jack Bauer accusé de torture et devant justifier ses actes devant un tribunal. Si la série de Joel Surnow avait fait du dicton la fin justifie les moyens une arme narrative redoutable, son départ a peut-être entraîné cette soudaine direction, comme une formule un peu maladroite de mea culpa. Preuve d’un changement d’ère : après les années républicaines de W., celles démocrates d’Obama ?

Cet épisode zéro tente de condenser en une heure et demie quelques six années d’exploitations thématiques et autre gimmicks irréversibles. On se retrouve avec une formule bâtarde : structure identique au film annoncé, véritable arlésienne. Une première partie fonctionnant en mode résumé, et la dernière heure en temps réel. Episode prequel donc, convoquant de vieux fantômes comme situations narratives, tout en exploitant un nouveau contexte. Après le premier président noir de la première saison, place à la première femme président. Et un Jack désabusé qui a, semble-t-il, brûlé le drapeau américain. Un passage de relais entre deux époques.

Difficile de critiquer ainsi ce qui semble être une petite pièce d’un puzzle imperceptible. On retrouve un Jack Bauer pour une fois égocentrique, bien loin de l’image patriotique des premières saisons qui avaient fait de lui la grande figure christique des années post-11 Septembre. Aujourd’hui Jack roule pour lui uniquement, et si sa tendance empathique à sauver le monde fait toujours parti intégrante de sa personnalité, la fuite est devenue un nouvel ingrédient à prendre en compte. Evolution logique après les différents sacrifices et désillusions qu’il a pu subir dans les deux dernières saisons. Détour en Afrique donc, dans un pays imaginaire en proie à un massacre ethnique comme un nouveau Rwanda. On n’évite pas une vision schématique du tiers monde, avec le blanc en sauveur (pas seulement Jack Bauer) et porteur d’éducation. Et le casque bleu trop caricatural, qui exploite une critique pertinente sur le principe de non-intervention, mais qui a trop tendance à confondre cette politique avec la lâcheté la plus inhumaine. Venant d’un pays qui pratique le tout-interventionnisme comme une forme d’ingérence, la pilule a du mal à passer. Reste un discours très juste sur les raisons qui poussent à l’aide internationale. Quand les enjeux économiques sont nuls, il n’y aucune raison de s’investir.

Exercice toujours périlleux car aux lisières du superflu, ce prequel joue son rôle. De numérotation initiale comme un nouveau départ. Et d’offrir les armes pour aborder une saison dans de biens meilleures dispositions. Pour la première fois, une saison de 24 méritera plus d’une journée. Comme une façon de repenser son concept dans la continuité. Il faut croire que la grève des scénaristes aura eu ce mérite : celui de donner du temps et de l’espace pour les scénaristes de réfléchir à l’objet 24 aussi bien dans sa forme que dans son fond.

2009 janv. 29

90210, retour à l'envoyeur

90210 L’annonce de la mise en chantier de ce spin off créa un buzz, sorte d’épiphénomène à la fois drôle et consternant, qui donna la tendance pour cette rentrée 2008, placée sous le signe des suites, adaptations ou remakes. La curiosité fut de taille. Où comment concilier le souvenir de la série originale, bien propre sur elle quand elle raconte la vie bourgeoise d’une poignée d’ados privilégiés, sans la moindre aspérité, avec ce petit côté wasp rock’n roll, aux mœurs actuelles. Le paysage a changé. Une nouvelle génération est venue damner cette pensée bien rangée. 90210, code postal de Beverly Hills, dès les premières images, stock shots frelatés des plus belles villas du coin. Pour rappeler ce contexte où l’argent s’affiche, mais bien caché derrière un portail démesuré ou une haie opaque. Et puis le lycée, West Beverly High, où Brandon et Brenda firent leurs armes, accompagnés des célèbres Kelly, Dylan, Steeve, Donna ou David. Un lieu légèrement modernisé, mais où l’on peut ressentir quelques souvenirs bien tenaces de fin de samedi après-midi passé devant la télévision.

90210 invoque autant la nouvelle génération des Gossip Girls que celle des vieux nostalgiques. Où dans un même mouvement, l’on retrouve Brenda et Kelly au Pit, servi par Nat, quand deux tables plus loin, des petites pestes mettent du Whisky dans leur Ice Tea. Autre époque, autre mœurs. La tension sexuelle est palpable en première impression, en quelques minutes on en vient au sex, drugs and... music hype (Coldplay, MGMT, pas mal, la bande son). Il semble bien loin le temps où Aaron Spelling protégeait sa fille d’une virginité déjà périmée. Ici, un des personnages principaux est crevé en flag dans sa voiture, où il se fait offrir une gâterie buccale. Parfait pour bien commencer les cours.

En un pilot, on a l’impression de voir une demi-saison condensée à l’extrême. En deux fois quarante cinq minutes, on est passé des meilleures amies aux pires ennemies, d’un couple implosé, de mini drames épiques, de pistes lancées à tout va. Comme si la série se jouait sur ces deux épisodes, comme si les auteurs craignaient une prochaine annulation. Il faut avouer que l’on n’attendait pas grand chose d’une suite de Beverly Hills. Et le pôle créatif doit être à peu près de notre avis. Rythme cocaïné, aussi futile qu’accessoire, donc forcément hyper intéressant. Hystérie passagère de petites ados en mal de sensation forte, crise familiale, jouxtes verbales incisives, tous les ingrédients sont agencés sans ordre particulier, avec l’énergie du désespoir. Et le miracle a lieu. Ou presque. Le spectacle est plaisant, jouissif par moment. La série est bien de son époque (blog inside), et le tout surfe sur la vague lancée par Gossip Girl. L’influence de cette dernière est incroyable, mais comme elle doit aussi son existence quelque part dans les circonvolutions de Beverly première du nom, on peut juger que la boucle est bouclée.

Seulement ce plaisir, comme jouissance, reste éphémère par nature. Et chassez le naturel… Retour à la case départ, dix après. Les intrigues n’ont pas changé. Tout est couru d’avance. Se pose la question de savoir si les scénaristes sont géniaux de nous soumettre au don de préscience, ou se foutent de nous pour oser raconter des histoires aussi prévisibles ? Ou alors, ils cultivent le culte de l’apparence par la plus effroyable et insupportable des façons : prouver sa vacuité par le prisme du lifting et prôner la duperie d’un tel exercice. 90210, une série qui raconte la même histoire, en plus moderne. On brasse les sempiternels mêmes clichés, comme esclave d’un cahier des charges immuable. Mais on y ajoute un soupçon d’hystérie pour épicer le tout. Les auteurs invoquent, dans ce même élan, la fibre nostalgique et les fantômes du passé. Brenda et Kelly nous font le remake du bon vieux temps. Effet Dylan oblige. On jubile devant la réouverture de traumas passés. Devant la hache de guerre déterrée. Le plaisir sera une nouvelle fois de courte durée. Justification de l’âge avec qui vient la sagesse (ou presque).

A l’issu du septième épisode, on découvre une trace de vie dans la série. Alors que jusqu’à présent, on subissait, avec défaitisme, l’électroencéphalogramme plat du show, voilà qu’elle subit, au terme de l’épisode, son premier choc. Comme un joli coup de pied dans la fourmilière. On est en présence d’un potentiel attractif pour une fois, qu’il serait dommage de ne pas profiter. Cet événement ne masque pas les énormes carences d’une écriture qui ne raconte pas grand chose et exploite sans vergogne une tradition passéiste du teen soap, mais on ne peut s’empêcher de ressentir de petits pincements au cœur devant l’élaboration d’un arc pas très audacieux en terme de développement, mais dont la conclusion affiche un joli contrepied.

Malheureusement, le plaisir est éphémère. Ade n’est pas morte, et on assiste à l’énième rédemption, parce que Beverly est porteuse d’espoir. Comme si l’on pouvait trouver un élan salvateur dans cet univers pourri par le fric. 90210, c’est le soleil, les belles villas, et l’on ne meurt jamais vraiment, surtout pas d’une OD. On rebondit, on lutte, parce que la vie est ainsi, et qu’il n’y a jamais de perdants. Autant d’abnégation et la vie deviendrait presque belle et émouvante.

2009 janv. 26

Fringe : Et la montagne accoucha d'une souris

Fringe Chaque rentrée, une série créé le buzz avant même d’avoir montrée une seule image. Cette année n’échappe pas à la coutume. Sur le papier, les faits sont là. Fringe : JJ Abrams aux commandes d’un show qui se veut le digne héritier de X Files. Toute la presse savoure, tous les fans salivent. Retour du récit de conspirations dans une ère post 11 septembre. L’industrie remplace la politique – mais les deux sont liées – et prend la forme d’une compagnie protéiforme omnipotente. La personnification du pouvoir à l’heure de la mondialisation. Avec l’éternelle question d’éthique sur les progrès scientifiques et la place de l’homme face à dieu.

Abrams aime les intrigues en toile d’araignée. Partir d’un élément central distinctif et broder autour de nombreuses et obscures circonvolutions aux lisières de la métaphysique. Fringe est censé bousculer nos croyances. Derrière ce terme, s’exprime tout ce que l’on considère comme de la para science, où la tentative d’explications rationnelles de faits pseudo science-fictifs. Si l’aspect didactique est important, on reste dans une structure proche de Lost. Parce que l’auteur parvient ainsi à s’ouvrir de vastes possibilités, où presque tout est permis, pourvu qu’un jargon vulgarisateur scientifique intervienne.

Dans ce tableau, Abrams rencontre deux problèmes potentiels : Nous rendre des concepts paranormaux, scientifiquement plausibles et audibles ; que cette conspiration laborantine à l’échelle mondiale tienne la route. Autant dire que le pari n’était pas gagné d’avance.

Pour éviter tout suspense : aucun des deux points sensibles exposés au dessus n’est réussi. Abrams s’empêtre rapidement dans un schéma routinier. Exaspération du répétitif. Et par la profusion de cas éparses, d’une vue d’ensemble approximative qui semble s’écrire au fur et à mesure. Fringe accumule les erreurs de parcours. Evanescence d’une conspiration, où les phénomènes aléatoires assombrissent le tableau plutôt qu’il le complète. Seuls les trois ou quatre derniers épisodes de cette mi-saison affichent des prétentions telles, que l’on peut deviner un vrai projet. Indices disséminés, traitement sur la longueur, la série se donne enfin de la consistance. Mais il a fallu passer par des intrigues improbables, où la notion de para science résulte davantage de la science-fiction ou l’anticipation. A l’image de la compagnie Massiv Dynamic, où tout semble possible, sans que l’on ne parvienne à y croire.

La question est de savoir s’il y a eu un problème de communication autour de la série, ou de compréhension de notre part. Alors que l’on s’attendait à un traitement proche d’X Files, qui parvenait à rendre plausible les théories les plus extravagantes, Fringe affiche des prétentions bien plus fantasques. Communication à travers un coma, voyage dans le temps, mémoires et souvenirs partagés… Autant de thèmes issus de la science-fiction ou du fantastique pur et dur. Et ce n’est pas les quelques explications scientifiques qui viendront nous convaincre du contraire. On se retrouve pris entre deux feux : la volonté de croire en un univers réaliste et la compréhension de ses phénomènes inexpliqués ou bien celle de l’anticipation d’un monde où tout est enfin possible. Fringe souffre de cet entre deux dans les premiers épisodes. Et c’est encore dans les trois derniers épisodes, qu’elle assume enfin son statut.

La progression de la série demeure énigmatique. Dès le (mauvais) départ, elle perd pied. Démonstration de ce qu’il ne faut pas faire. S’éparpiller par le biais du procedural et présenter des personnages qui ne comblent pas les lacunes d’une intrigue en roue libre. Dans un agencement fragilisé par l’incapacité des auteurs à produire du ciment, tout reposait sur les personnages, seul point d’encrage dans ce monde auquel on a encore du mal à croire. A l’image du professeur Bishop, qui sort la série de sa médiocrité, mais l’étouffe dans un même mouvement. La fantaisie de son caractère apporte un contrepoids au traitement souvent froid et désincarné. Si l’on apprécie ses facéties, le contraste est brusque. Devant la transparence de l’agent Dunham ou le j’m’en foutisme de Peter, la singulière et théâtrale prestation du savant-fou explose les limites du cadre. Dans cet univers contenu, l’effet serait presque destructeur. Et la déflagration de ne pas se contenter aux autres personnages, mais à la nature du show et son traitement. Comment prendre au sérieux que l’avenir scientifique du monde se joue peut-être dans les sous-sols de Harvard, laboratoire de fortune bricolé avec des bouts de ficelles ? Dans une grosse production télévisuelle, vanter les vertus de l’artisan face aux industrielles ferait presque sourire. Où comment un seul scientifique parvient à rivaliser avec la compagnie à la pointe de toutes les technologies. Muni d’un caisson métallique, deux électrodes et un oscilloscope, réussir mieux que les énormes structures de Massiv Dynamic. Le génie ne s’embarrasse pas des moyens ? Seule la théorie et la méthode importent. L’outil ne fait le savant.

Au terme d’une moitié de saison, la nouvelle création de JJ Abrams doit non seulement toujours faire ses preuves, mais aussi redresser un niveau médiocre par son départ calamiteux. Mission rude en perspective. Le show, en progressant sur 22 épisodes, utilise déjà son sursit. Les moyens mis en œuvre et le nom d’Abrams ont permis ce sursaut salvateur. Combien de temps l’illusion tiendra-t-elle ?

2009 janv. 23

Californication, saison 02 : Le complexe de la panne

californication

Retour des (més)aventures de Hank Moody. A l’instar de Prison Break, dont l’improbabilité d’une seconde saison se posait, que pouvaient raconter les auteurs, maintenant que l’écrivain a atteint son but : reconquérir la femme de sa vie et former à nouveau une famille ? Le season premiere répondait en partie à l’interrogation. Choisir la déconstruction symbolique du personnage. Vasectomie, forme de castration pour signifier sa nouvelle monogamie. Moody le queutard, rangé des excès avec option femme et enfant. On place le couple en présence d’anciennes conquêtes pour éprouver sa nouvelle foi et condition. On désacralise le séducteur en illustrant l’impossibilité de contenter les autres femmes (du moins, leur horloge biologique). L’homme ne perd pas son pouvoir séducteur, son mojo, mais on lui donne les vertus d’un homme raisonnable. Les nouveaux enjeux – l’homme devant la tentation - présentés, on pouvait être curieux de la tournure à venir des événements.

Seulement redéfinir symboliquement le personnage ne pouvait suffire à combler une saison entière. Même sur douze épisodes. Est prise alors la décision d’opposer à Hank, un double. Homme artiste (dans le milieu musical), fêtard, homme à femmes, excessifs, une copie carbone à une exception : ce dernier a abandonné depuis longtemps la quête de l’amour. Mettre en parallèle une version rangée et une autre libre, le bonheur durable et le plaisir épicurien posaient une thématique intéressante. Et parvenait ainsi à offrir une évolution dans la continuité.

A ce jeu, le champion toute catégorie est Dexter. A chaque nouvelle saison, on voit l’impensable se réaliser : être capable de poursuivre une étude de caractère, quand tout semble avoir été dit. De parvenir à créer un contexte émulateur pour son personnage principal, moteur thématique de la série. Petit miracle télévisuel qui n’évite pas les embûches et dont l’avenir s’annonce de plus en plus difficile. Mais Californication possède un univers bien plus permissif et la tâche est donc facilitée.

Devant l’ampleur de la révolution et la confrontation, les auteurs se sont tournés vers la facilité. Plutôt que d’affronter de face la nouvelle configuration du show, on tente de recréer le succès passé en lui faisant subir une cohabitation pour le moins difficile. Retour à la case départ ou presque pour Hank Moody. Où le couple joue au jeu des chaises musicales, ce qui n’a jamais donné de bons résultats. Chasser le naturel, il revient au galop ? Peut-être, mais on ne peut s’empêcher de se sentir frustré par l’attitude peureuse des scénaristes. Ils n’attrapent pas la bête par les cornes, ils la laissent filer. Hank ancienne formule retrouve ses propriétés d’a(i)mant à problème. Retour en disgrâce donc, où le buccoviole matricielle entraîne la suite vers les schémas routiniers de l’année précédente. L’acte traumatique (et drôle à sa découverte) va contaminer toute la suite. Ressassé pendant toute la saison (on comprend par principe, mais à la longue…), c’est l’excuse trouvée par les scénaristes pour éviter les complications qu’une refonte structurelle imposait.

Cette saison vire au show à formule. Au tout petit cahier des charges, mais qui se perpétue d’épisodes en épisodes. La scène de cul, les métaphores fleuries sur le sexe, les embrouilles de Hank. Comme des passages obligés, figés, sculptés dans le marbre. La frénésie de la première saison, où tout s’enchaînait dans un mouvement hyperbolique, ne fonctionne plus. Et moins encore, confrontée à l’orientation choisie. Passé et présent, dans une confuse promiscuité, s’expriment très mal et n’existent qu’en suffocant. On ne sourit plus vraiment, on devient juste fatigué par tant de condescendance scénaristique pour un profit mineur.

Dans l’absolue, c’est Runkle qui sort gagnant de cette saison. On est plus intéressé par sa virée dans le monde du porno, sa déchéance d’agent littéraire et sa nouvelle vocation d’agent de pornstar que les déboires maniaco-sexuels de Hank. Si la trajectoire Runkle est bien trop compressée pour convaincre (elle ferait l’objet d’une saison entière d’un personnage principal), son jusqu’au boutisme halluciné correspond à l’image que l’on garde de Californication. Elle atteint son point d’orgue dans le tournage de Vaginatown (remake X du film de Polanski) où tout converge vers un point. A ce titre, la dépendance de Marcy qui, sans être une surprise, arrive un peu trop rapidement et traité par-dessus la jambe, jette un trouble dans cet univers où tous les excès étaient seulement perçus par le prisme de l’humour. De même que l’overdose subite de Lew dans le onzième épisode. De cette vie passée dans le plaisir intense et éphémère des fêtes et de la défonce, on apprécie que la réalité rattrape son sujet par la plus dramatique des manières.

Le challenge était peut-être trop grand. Difficile d’offrir une continuité à un récit bouclé. Des idées ont jailli, parfois très bonnes. Mais il a manqué cette flamme qui embrasa la saison passée. Et la tentation de reproduire une recette avec des ingrédients périmés fut bien trop grande. Enorme déception, de celle qui survient après les plus importantes réussites. Illustration d’un symptôme courant dans les productions télévisuelles américaines. Le cap de la seconde saison. On recense un malade de plus, comme on espère à son prompt rétablissement pour l’année prochaine. Hank Moody impuissant. Voilà une grande tragédie…

Dead Set, Big Brother is eating you

Dead Set Dans un élan anthropophage, la télévision se bouffe elle-même. En prenant pour point de départ Big Brother (le Loft Story anglais), les auteurs anglais exhibent l’envers du plateau/décors, les rouages de cette imposante machinerie. Façon de se regarder soi-même, tout en se critiquant. Avec ce soupçon de fierté quand il s’agit de se comparer. La real-tv, parent pauvre de la télévision. Production du rien, de l’insignifiant. Et mise en application du célèbre mot de Warhol : tout le monde aura le droit à ses quinze minutes de gloire.

Dead Set a la critique facile. Symbolique lourde que celui du spectateur zombifié. Régression intellectuelle, abrutissement du public, tous les principaux stigmates sont ainsi convoqués. Sans nuance (la grande messe du prime transformée, littéralement, en masse de zombis). Le propos est virulent, vindicatif et facile. Sans prendre de gants, au risque de s’aliéner une partie de son auditoire, forcément concernée. L’attitude est un rien primaire, comme un règlement de comptes : producteur tyrannique et odieux, participants écervelés, on verse dans la lourde caricature. Le message est clair. Même la réalisation est appliquée à la truelle : caméra à l’épaule fatigante, qui abuse de tremblements et mouvements approximatifs pour illustrer sa capacité d’immersion réactive à l’action (en opposition à la création de l’action). Filmage uniforme jusque dans les simples scènes de dialogues, avec ce cadre parkinsonien. Seule l’image vidéo siée au style direct, avec des couleurs délavés où même le rouge sang n’offre aucun éclat.

Le concept avait du potentiel. Le dispositif de la real-tv dans le cadre d’une invasion/pandémie devenait par essence très stimulante. Dans un monde détruit par les zombis, la diffusion, en boucle, de Big Brother faisait de cette émission la seule fenêtre publique vers et pour les survivants. Le spectacle vulgaire et voyeuriste par définition se transformait en une forme de communication à sens unique, porteuse d’espoir factice mais salvateur. L’exposition du quotidien dans sa plus banale expression. Une existence par procuration, comme un besoins de revenir à la normal.

Les scénaristes, plutôt que de creuser un sillon réflexif et théorique sur la notion de civilisation et son image, ont préféré une approche frontale, surfant sur une toute une généalogie des films de zombis. Axé sur l’action, Dead Set verse dans le conformisme du survival. Inclure une théorie positif autour de l’émission Big Brother et la real-tv instaurait une soudaine compromission à la charge vindicative soulevée plus haut. La progression du show suit les convenances. Différents points de vue initiales, création progressive d’un seul groupe jusqu’à son implosion. On aura, finalement, notre constat d’échec de la civilisation sur le versant de la communication.

Malgré tout, la série demeure sympathique et semble conçue pour un fan peu exigeant. Les zombis s’invitent rarement sur le petit écran. Du classicisme instauré, on en retire de l’hémoglobine coulant à flot, des maquillages gores très réussis et des séquences d’horreur efficaces. Les toutes dernières images (les plus belles du show), dans un cadre enfin immobile, accueillent une forme de sérénité. Presque poétique par sa démonstration d’innocence macabre. L’évocation ainsi soulignée est forte, subtile. Et l’on se prend de regrets. Ainsi traitée, la série se serait élevée bien au dessus de son niveau actuel.

page 3 de 3 -