Lucarne

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2009 mai 2

Damages, saison 02 : Futur antérieur

Damages.jpg Damages nous rejoue le mythe d’Icare. Après avoir tutoyée les cimes d’une intrigue labyrinthique, la série chute. Trop près du soleil, la première saison ? Etre parvenu à s’élever au dessus du lot annuel de séries fut déjà une belle prouesse. Dans le contexte morne de la grève, son format lui permit d’assurer jusqu’au bout. Et même un peu plus loin. Seulement le challenge de maintenir l’altitude sembla trop grand. On se disait, avec naïveté, qu’après une telle maîtrise, les scénaristes savaient quelle direction prendre, qu’elle traitement appliquer. Toute cette première saison ne pouvait être un accident. En écrivant cette fin ouverte, ils s’entrouvraient la possibilité d’inscrire leur nom à la postérité. On a parié sur le mauvais cheval. Et si cette seconde saison n’efface en rien les qualités de la précédente, on ne peut que ressentir un brin d’amertume devant tant d’opportunités et d’espoir gâchés.

A posteriori, tout se joue sur les premières images. Comme la saison précédente, ce premier épisode débute par un flash-forward. Effet chromatique dispensable et impression gênante d’un monologue face caméra. Soumission à un principe narratif qui passe d’outil à gadget. Le double axe temporel, dans la première saison, se justifiait dans l’intersection, quand le présent/futur rejoint le passé/présent. Or comme la seconde saison n’opère aucune (ou volonté de) modification immédiate de la ligne narratrice, la balance n’est pas préservée et l’effet ne fonctionne plus. Détournement de la nature du show qui sacrifie sa sève de thriller économico-judiciaire en un procédé narratif, sorte de gimmick d’écriture. C’est d’une part mésestimer ses qualités scénaristiques, sa construction savante et efficace et d’autre réduire le show à un exercice de style. Enfin leurs apparitions laissées au hasard n’apportent plus aucune information intéressante, et leurs présences, aucune corrélation, même vague, avec la séquence précédente.

Passée l’immédiate déception, la frustration nous gagne. Si dans sa globalité, la qualité de cette saison est inversement proportionnelle à celle de la précédente, tout n’est pas à jeter et on peut même trouver des choses intéressantes. Car les enjeux sont nombreux et les scénaristes les exploitent (mal) quasi tous. De l’épée de Damoclès au dessus de la tête de Patty Hewes à la vengeance d’Ellen (contre Patty et Frobisher). Inscrit en filigrane dans une nouvelle affaire au potentiel énorme, on se demande comment les auteurs ont pu rater le coche à ce point. Toute la partition d’Ellen est figée sur le même mode : mâchoire serrée, œil au bord des larmes mais regard sombre. Une posture qu’elle tiendra toute la saison, en mode bi-registre. Le parcours de Patty est plus intéressant, mais seule sa relation avec son fils tiendra toutes ses promesses. Tom est laissé à l’abandon, Frobisher en amuseur public (même si son revirement zen s’inscrivait dans la logique du personnage, excessif).

Des nouveaux personnages ou la nouvelle affaire, on retiendra ce traitement en dépit du bon sens qui sacrifie toute excellence au profit d’un étale de choses éparses, voire insignifiantes. Une bouillie narrative qui exploite très mal des situations pourtant emprunte d’une charge plus puissante que l’affaire précédente. Dimension politique dans le milieu de l’énergie, thème très actuel en ces temps de grenelle de l’environnement. Son évolution au cours de la saison lui donne de l’ampleur et un visage protéiforme. On se surprend même de regretter un traitement aussi rapide, comme on ne parvient pas à saisir l’importance de tous ces enjeux. La faute encore à une narration trop décousue, qui place très mal ses personnages (Daniel Purcell disparaît sans donner de nouvelles pendant quatre ou cinq épisodes, Frobisher n’intéresse plus les scénaristes quand son implication maladroite dans la nouvelle affaire n’est plus d’actualité) et exploite jusqu’à la lie certaines situations (les rencontres avec le FBI, le trader cocaïnomane, le GPS). On vient à se demander si les auteurs n’ont pas tenté de courir trop de lièvres à la fois (Affaire d’empoisonnement + malversations financières d’UNR, meurtre de Mme Purcell, enquête du FBI, intrigue autour de l’Oncle Pete, vengeance d’Ellen contre Frobisher, contre Patty, le deuil d’Ellen et la liste n’est pas finie).

Il est amusant de noter que les deux agents du FBI que rencontrent Ellen sont deux personnalités importantes dans conception de la série. Mario Van Peebles, réalisateur et surtout Glenn Kessler crédité aux scénarii et comme créateur. Amusant parce que les séquences où ils apparaissent entraînent le rythme vers le bas, voire les abîmes dans un season final qui évente tous les flash-forward. Est-ce la volonté de se mettre en scène qui leur fait manquer de recul quant à la pertinence de ces séquences ? Créateurs et créatures, ils deviennent les boucs émissaires du naufrage de cette saison. Dans un final mou et pragmatique, les auteurs ont réduit les fenêtres d’évolution possible pour la troisième saison. Patty annonce à Tom qu’Ellen reviendra. Si cette dernière réplique s’avère prophétique, Damages aura alors passé le point de non retour.

2009 avr. 10

Drive, saison 01 : Accident de la route

Drive L’association Tim Minear et Nathan Fillion est maudite. Deux tentatives, deux annulations, injustes dans les deux cas. Tout d’abord Firefly, le bébé de Joss Whedon. Minear est coproducteur, Fillion personnage principal. Au bout d’une poignée d’épisodes, la Fox décide d’effacer la série de sa grille. Pour maigre consolation, on aura droit à un film en guise de clôture. Il faut croire que le mariage du western et de la science-fiction ne déplaçait pas les foules. Second échec, qui nous intéresse ici, Drive. Petite (par son ambition) mais efficace série d’action, que l’on appellerait série B au cinéma.

Drive raconte l’histoire d’une course illégale qui traverse les Etats-Unis. Le vainqueur remporte 32 millions de dollars. Si la plupart des participants sont volontaires, alléchés par l’appât du gain, le personnage de Nathan Fillion est projeté malgré lui dans cette course : il concourt pour sauver sa femme récemment enlevée.

Si l’histoire de cet homme, prêt à tout pour sauver sa femme, requiert l’attention principale, la série se joue en mode chorale. On dénombre une petite dizaine de personnages principaux. Tous d’horizons différents. D’une bande de copines, victimes de l’ouragan Katrina au couple père/fille en construction, de l‘ex-détenu fraîchement sorti de prison accompagné de son « nouveau » demi-frère, à la jeune maman. La série s’attarde sur chacun d’entre eux, leur donne une voix à écouter, de la place pour se développer. Ces personnages assurent à la fois un aspect humain plus conventionnel et permet d’aérer un récit limité à sa seule trame.

Drive ne brille pas par son inventivité. Elle exploite des thèmes connus, des situations exploitées, use des artifices propre au genre qu’elle aborde. On a droit aux longues séquences de poursuite. Plutôt bien réalisées. La technologie aujourd’hui permet de jouer astucieusement l’effet in & out de l’habitacle dans un même plan. Et ainsi conserver une visibilité totale associée à une dynamique convaincante. Sans surenchère, elles apportent l’impulsion nécessaire à un récit basé sur la rupture. Fuite en avant perpétuelle avec un nouveau check point en ligne de mire. Si la série met au premier plan ce sentiment de lutte contre le temps et l’espace, elle manque parfois de rigueur dans l’évolution de son action et sa narration. Jamais elle n’invoque une conception post-24 du temps réel ou de son adaptation libre comme dans Prison Break (1ère saison). Mais elle s’attarde sur des détails – pas inintéressants – qui nuisent à la plausibilité du récit. Elle s’exprime bien mieux quand il s’agit de replier l’espace pour faire tenir une distance dans une temporalité narrative condensée. A l’image d’un résumé de grand prix, où l’importance de l’évènement ne se situe pas dans la répétition ad nauseam des tours, mais dans l’exposition de faits succincts et marquants. Le show privilégie toujours l’action sur l’endurance.

Drive rejoint le cimetière des séries avortées. Sans avoir délivré toutes ses réponses, tout son potentiel. Si on ne lui donnait pas une espérance de vie à rallonge (anti-prison break), on pouvait espérer un meilleur sort. En l’état, elle demeure un programme agréable à regarder, qui semble convoquer ces séries 80’s/90’s avec une rigueur et un traitement 00’s (la série date de 2007). Un mariage que l’on retrouve dans Burn Notice (démystification de l’agent secret en une (re)lecture post-caméléon, le fun et le soleil de Miami en plus). On peut désormais retrouver Nathan Fillion en personnage principal de Castle. Formula cop show classique et sexy, qui, on l’espère, dépassera le stade de la (demie) saison.

2009 fév. 28

The Wire, saison 01 : Enquête sur le fil

The Wire La découverte a posteriori d’une œuvre unanimement encensée entraîne souvent la déception. Un mal récurrent qui contamine le spectateur retardataire et dont le principal symptôme s’exprime par : « c’était très bien, mais… ». La réputation concernant The Wire n’est plus à décrire. Souvent citée en référence dans le genre policier, le show s’inscrit dans cet âge d’or de la chaîne HBO. Accompagnant ainsi les Soprano, Six Feet Under, Sex And The City. Alors on fait comme tout le monde. On prend le train en marche. Fasciné par ce buzz, la curiosité trop forte, l’œuvre trop tentante. Avec toutefois ce léger recul, position défensive, sens en alerte. Un peu suspicieux devant tant d’éloges.

Pendant quelques années consécutives, Baltimore a tenu une première position nationale. Le taux de criminalité le plus élevé et le nombre d’enquêtes non résolues. On se passerait bien de certains records. La ville souffre d’un profond désordre social. Où la politique républicaine cultive la misère avec près d’un quart de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Baltimore a déjà servi de cadre à une immense série policière immersive : Homicide. Cette dernière proposait de suivre la brigade criminelle dans son rapport quotidien. Loin des traitements sensationnalistes d’autres séries du genre. Les enquêtes s’étalent sur plusieurs épisodes. Et certaines ne connaîtront aucune résolution. Le métier de flic apparaissait anxiogène, renforcé par un filmage caméra portée et un montage usant de jump-cut.

The Wire est le plus bel héritier que l’on pouvait donner à Homicide. Même traitement frontal et immersif, même volonté d’effacer tout le glamour qui entoure le policier à la télévision. Ici, le métier est ingrat, pénible et fastidieux. Paperasserie étouffante, matériel usé, environnement précaire. Et dépense constante d’énergie à lutter autant contre sa hiérarchie que contre le crime. The Wire narre une affaire de trafic de drogue et son infiltration. Tout le principe de la série est d’étirer la narration. De faire d’une enquête, toute une saison. A l’image d’un Murder One, qui consacrait 22 épisodes pour une seule affaire. On y ressent la lente et lourde progression et l’ampleur de la tâche. D’observer la réalité d’un travail douloureux, qui vampirise le quotidien des personnages. Et de ressentir la progression comme un spectacle à la fois excitant d’un point de vue dramatique et effrayant par le réalisme qui se dégage de l’œuvre.

Il existe un univers HBO. Les différentes séries de la chaîne ont toutes un ou des créateurs différents, on note néanmoins une méthode dans l’approche des programmes. Une notion de la narration particulière, qui rend ainsi les séries reconnaissables sans le célèbre sigle. Une démarche inconsciente ou une liberté permissive autorisent ainsi des développements singuliers, faits de digressions magnifiques, élément constitutif de la réussite du show. Des séquences suspendues dans le temps, où se diffuse un sentiment de proximité, de réalisme, comme une captation brute du réel. Observer le dealer choisir sa tenue dans sa garde robe, multipliant les essayages, est symptomatique de cette impression. La scène ne sert à rien. Aucune information nécessaire à l’enquête n’est utile. Dans toute autre série, elle serait évacuée ou occultée. Mais dans The Wire, on la conserve et on lui accorde de l’importance et de l’intérêt. Parce que sa vision permet de capter le quotidien d’un dealer, dans sa représentation la plus basique. Le regard de la série n’est pas porté sur la seule profession de policier. David Simon et Ed Burns imaginent le tableau dans son ensemble. Où le dealer, dépouillé de cette aura cinématographique, apparaît vulnérable, humain, loin des clichés.

Dans un mouvement similaire, on pense à la séquence de la reconstitution de McNulty et Bunk. Moment magique, représentation du travail à l’œuvre. Un peu hors du temps, sans chronologie fixe. Et d’une force, d’une puissance qui scotche le spectateur à son fauteuil. Une simple reconstitution, un peu drôle par la répétition des fuck au fur et à mesure des découvertes. Mais sa progression, l’absence de dialogue, son importance dramatique constituent une cartographie de la méthode d’écriture des deux créateurs. Une narration exigeante, loin des standards de la télévision. Et un regard à l’esthétisme minime, pour mieux focaliser l’attention du spectateur sur l’importance de la découverte. Dans The Wire, la moindre trouvaille, le moindre petit embryon de preuves sont cruciaux. Monter un dossier solide pour supporter la défense au tribunal réclame un travail acharné. Quand on tient une de ces informations, on l’arrache et on s’y tient plus que tout. Le show montre aussi bien le désespoir qui anime les policiers que l’euphorie qui les unit devant la réussite. Et de l’autre côté du spectre, la rudesse d’un monde de violence, l’apathie qui règne entre les rangs des dealers. Devant une apparente camaraderie sincère, l’illusion tombe quand il s’agit de se soumettre aux ordres. Parfaites petites troupes, comme autant de chair à exploiter, manipuler ou sacrifier.

La création de Simon et Burns ne fera pas école. Trop complexe, trop riche et dans une conception qui dépasse les codes du genre. Son approche rigoureuse et exigeante peint le portrait réaliste d’un métier difficile. Olivier Marchal, dans une interview, expliquait comment il se sentait obligé de manipuler la réalité. Soumission du créateur ancien flic devant les exigences du monde du spectacle. Impossible de montrer à la télévision de longues enquêtes ? Obligation d’une accélération narrative pour faire tenir en un seul épisode le processus entier ? Si ce traitement est effectivement courant (il faut voir tous les CSI, Cold Case, Without a Trace, L&O…), The Wire et avant elle, Homicide, prouve le contraire et casse cette sacro-sainte vérité. David Simon et Ed Burns ont prouvé que l’exposition d’un système lent, la complexité de l’enquête, constituaient un angle d’attaque viable. Et c’est peut-être ce qui manquait au genre. Une nouvelle façon de repenser la construction d’une série policière qui se voit comme un ensemble compact, plutôt que l’assemblage d’éléments (épisodes) distinctifs qui la constituent.

2009 fév. 24

Rome , saison 01 : Luxe & Décadence

Rome La fresque historique s’invite dans la lucarne. Initiative de la chaîne HBO. Projet ambitieux de vouloir ainsi revisiter la Rome de Jules César. Son apogée comme sa décadence. Après la mythologie du grand ouest (Deadwood) et son regard réaliste, c’est aujourd’hui au mythe romain qu’elle s’attaque. Avec ce même objectif en vue : mettre en image l’Histoire, sans paillette, ni éclat.

L’ampleur impressionnante de la reconstitution comme représentation d’une ville démiurge.

Rome ne pouvait bénéficier d’un traitement plus timide. Retranscription de sa folie, sa grandiloquence et son impérial sentiment de supériorité. Mais au détour des luxueuses bâtissent, se découvrent les ruelles sombres et purulentes. De cette partie de la population que l’on cache. Le célèbre antagonisme du peuple d’en haut face aux gens d’en bas. Rome comme Deadwood se sert de l’Histoire pour présenter les maux du monde moderne. Stigmate de l’ère Bush, où la série dresse le portrait d’un dictateur menant une guerre illégale pour asseoir son emprise sur le monde, dont il s’est proclamé empereur.

Ce miroir offre un champ de réflexions comparatives riches et foisonnantes, mais alourdit le show d’une caution envahissante. La série s’asphyxie lorsqu’elle se drape dans la reconstitution pure et théorique. Rome gagne un souffle salvateur dans ses échappées vers des figures anonymes. Elle retrouve une flamboyance, une incarnation à revisiter l’Histoire. Quand elle s’agenouille devant le diktat des manuels scolaires, le show tombe sous le joug de la lourdeur documentariste.

La série gagne, ainsi, à bannir les scènes spectaculaires des grandes batailles pour se consacrer à l’envers du décor. Plus que la guerre, ce sont les grandes conspirations qui intéressent les auteurs. Celles qui se déroulent dans la chambre à coucher. Davantage que les vains discours et discordes du Sénat. Aussi, le sexe devient la monnaie d’échange ou l’arme privilégiée pour arriver à ses fins. Il s’exporte jusque sur les murs de la ville. Comme autant de tags grotesques et caricaturaux. Il est adapté au théâtre où des comédiens, munis de phallus disproportionnés miment les grands noms politiques en pleine action. Et les coïts et conspirations se mélangent et ne se discernent plus. Jamais une série ne se sera autant reposée sur la représentation du sexe comme vecteur de narration. Et fait ainsi des coucheries diverses, les moteurs d’intrigues de faits historiques (une chose que reprendra The Tudors, par exemple).

Le format de douze épisodes, pour embrasser une période aussi importante, oblige les scénaristes à jongler avec de larges ellipses. La narration ainsi restructurée se pare d’une évolution hasardeuse. Découpage trop stricte en épisodes comme autant de chapitres. Le classicisme du procédé enterre toute notion de suspense et la tension dramatique s’en trouve allégée. On regrette que les auteurs n’aient pas privilégié une direction plus audacieuse. Mais Rome bénéficie d’incroyables richesses, affichant une ambition rare. Distinction – d’ordinaire peu mémorable – de série la plus chère jamais produite. Une fois n’est pas coutume, les moyens apparaissent à l’écran et participent à la réussite émérite du show. En effet, Rome brille par sa capacité d’immersion dans cette cité opulente, où la ville devient son personnage principal.

2009 fév. 2

24, Redemption... in process ?

24_redemption.jpg Au moins peut-on voir dans ce prequel une volonté de sortir d’un schéma qui virait à l’asphyxie. 24 a perdu une année, et ce préambule tente de combler les blancs d’une mise au point. Sans pour autant faire table rase du passé. Capitalisation d’une recette qui présente toujours plus ses limites, mais créé néanmoins une forme d’addiction. Chaque année, les critiques virulentes pleuvent. Tout comme ces spectateurs reviennent pour suivre la nouvelle journée. Malgré des ficelles qui grossissent toujours plus, il reste des choses intéressantes à exploiter. Et la série n’a pas son pareil pour témoigner de notre époque dans une optique politique autocentrée sur l’Amérique. Pendant six années, 24 fut la série la plus représentative de l’ère Bush. Sa politique intérieure comme étrangère, cette façon de commenter le monde, sa structure géopolitique avec l’angle unique d’une vision très « maître du monde » qu’adoptent communément les Etats-Unis. Une chasse au terrorisme, l’axe du mal versus l’axe du bien. Vision d’un monde sécuritaire présentant toujours plus ses failles. Où la redondance d’éléments scénaristiques devenaient une critique acérée des méthodes, moyens et résultats d’une telle entreprise.

Cette rédemption est la fois celle d’un héro fatigué et d’une série qui ronronne dans le mauvais sens du terme. On s’échappe de Los Angeles, on évacue la CTU. Enfin il y a ce sentiment culpabilisateur. Les nombreux reproches quant à la nature même du show et la polémique autour d’une apologie de la torture, ont travaillé les producteurs comme scénaristes. En effet, il est question d’un Jack Bauer accusé de torture et devant justifier ses actes devant un tribunal. Si la série de Joel Surnow avait fait du dicton la fin justifie les moyens une arme narrative redoutable, son départ a peut-être entraîné cette soudaine direction, comme une formule un peu maladroite de mea culpa. Preuve d’un changement d’ère : après les années républicaines de W., celles démocrates d’Obama ?

Cet épisode zéro tente de condenser en une heure et demie quelques six années d’exploitations thématiques et autre gimmicks irréversibles. On se retrouve avec une formule bâtarde : structure identique au film annoncé, véritable arlésienne. Une première partie fonctionnant en mode résumé, et la dernière heure en temps réel. Episode prequel donc, convoquant de vieux fantômes comme situations narratives, tout en exploitant un nouveau contexte. Après le premier président noir de la première saison, place à la première femme président. Et un Jack désabusé qui a, semble-t-il, brûlé le drapeau américain. Un passage de relais entre deux époques.

Difficile de critiquer ainsi ce qui semble être une petite pièce d’un puzzle imperceptible. On retrouve un Jack Bauer pour une fois égocentrique, bien loin de l’image patriotique des premières saisons qui avaient fait de lui la grande figure christique des années post-11 Septembre. Aujourd’hui Jack roule pour lui uniquement, et si sa tendance empathique à sauver le monde fait toujours parti intégrante de sa personnalité, la fuite est devenue un nouvel ingrédient à prendre en compte. Evolution logique après les différents sacrifices et désillusions qu’il a pu subir dans les deux dernières saisons. Détour en Afrique donc, dans un pays imaginaire en proie à un massacre ethnique comme un nouveau Rwanda. On n’évite pas une vision schématique du tiers monde, avec le blanc en sauveur (pas seulement Jack Bauer) et porteur d’éducation. Et le casque bleu trop caricatural, qui exploite une critique pertinente sur le principe de non-intervention, mais qui a trop tendance à confondre cette politique avec la lâcheté la plus inhumaine. Venant d’un pays qui pratique le tout-interventionnisme comme une forme d’ingérence, la pilule a du mal à passer. Reste un discours très juste sur les raisons qui poussent à l’aide internationale. Quand les enjeux économiques sont nuls, il n’y aucune raison de s’investir.

Exercice toujours périlleux car aux lisières du superflu, ce prequel joue son rôle. De numérotation initiale comme un nouveau départ. Et d’offrir les armes pour aborder une saison dans de biens meilleures dispositions. Pour la première fois, une saison de 24 méritera plus d’une journée. Comme une façon de repenser son concept dans la continuité. Il faut croire que la grève des scénaristes aura eu ce mérite : celui de donner du temps et de l’espace pour les scénaristes de réfléchir à l’objet 24 aussi bien dans sa forme que dans son fond.

2009 janv. 23

Californication, saison 02 : Le complexe de la panne

californication

Retour des (més)aventures de Hank Moody. A l’instar de Prison Break, dont l’improbabilité d’une seconde saison se posait, que pouvaient raconter les auteurs, maintenant que l’écrivain a atteint son but : reconquérir la femme de sa vie et former à nouveau une famille ? Le season premiere répondait en partie à l’interrogation. Choisir la déconstruction symbolique du personnage. Vasectomie, forme de castration pour signifier sa nouvelle monogamie. Moody le queutard, rangé des excès avec option femme et enfant. On place le couple en présence d’anciennes conquêtes pour éprouver sa nouvelle foi et condition. On désacralise le séducteur en illustrant l’impossibilité de contenter les autres femmes (du moins, leur horloge biologique). L’homme ne perd pas son pouvoir séducteur, son mojo, mais on lui donne les vertus d’un homme raisonnable. Les nouveaux enjeux – l’homme devant la tentation - présentés, on pouvait être curieux de la tournure à venir des événements.

Seulement redéfinir symboliquement le personnage ne pouvait suffire à combler une saison entière. Même sur douze épisodes. Est prise alors la décision d’opposer à Hank, un double. Homme artiste (dans le milieu musical), fêtard, homme à femmes, excessifs, une copie carbone à une exception : ce dernier a abandonné depuis longtemps la quête de l’amour. Mettre en parallèle une version rangée et une autre libre, le bonheur durable et le plaisir épicurien posaient une thématique intéressante. Et parvenait ainsi à offrir une évolution dans la continuité.

A ce jeu, le champion toute catégorie est Dexter. A chaque nouvelle saison, on voit l’impensable se réaliser : être capable de poursuivre une étude de caractère, quand tout semble avoir été dit. De parvenir à créer un contexte émulateur pour son personnage principal, moteur thématique de la série. Petit miracle télévisuel qui n’évite pas les embûches et dont l’avenir s’annonce de plus en plus difficile. Mais Californication possède un univers bien plus permissif et la tâche est donc facilitée.

Devant l’ampleur de la révolution et la confrontation, les auteurs se sont tournés vers la facilité. Plutôt que d’affronter de face la nouvelle configuration du show, on tente de recréer le succès passé en lui faisant subir une cohabitation pour le moins difficile. Retour à la case départ ou presque pour Hank Moody. Où le couple joue au jeu des chaises musicales, ce qui n’a jamais donné de bons résultats. Chasser le naturel, il revient au galop ? Peut-être, mais on ne peut s’empêcher de se sentir frustré par l’attitude peureuse des scénaristes. Ils n’attrapent pas la bête par les cornes, ils la laissent filer. Hank ancienne formule retrouve ses propriétés d’a(i)mant à problème. Retour en disgrâce donc, où le buccoviole matricielle entraîne la suite vers les schémas routiniers de l’année précédente. L’acte traumatique (et drôle à sa découverte) va contaminer toute la suite. Ressassé pendant toute la saison (on comprend par principe, mais à la longue…), c’est l’excuse trouvée par les scénaristes pour éviter les complications qu’une refonte structurelle imposait.

Cette saison vire au show à formule. Au tout petit cahier des charges, mais qui se perpétue d’épisodes en épisodes. La scène de cul, les métaphores fleuries sur le sexe, les embrouilles de Hank. Comme des passages obligés, figés, sculptés dans le marbre. La frénésie de la première saison, où tout s’enchaînait dans un mouvement hyperbolique, ne fonctionne plus. Et moins encore, confrontée à l’orientation choisie. Passé et présent, dans une confuse promiscuité, s’expriment très mal et n’existent qu’en suffocant. On ne sourit plus vraiment, on devient juste fatigué par tant de condescendance scénaristique pour un profit mineur.

Dans l’absolue, c’est Runkle qui sort gagnant de cette saison. On est plus intéressé par sa virée dans le monde du porno, sa déchéance d’agent littéraire et sa nouvelle vocation d’agent de pornstar que les déboires maniaco-sexuels de Hank. Si la trajectoire Runkle est bien trop compressée pour convaincre (elle ferait l’objet d’une saison entière d’un personnage principal), son jusqu’au boutisme halluciné correspond à l’image que l’on garde de Californication. Elle atteint son point d’orgue dans le tournage de Vaginatown (remake X du film de Polanski) où tout converge vers un point. A ce titre, la dépendance de Marcy qui, sans être une surprise, arrive un peu trop rapidement et traité par-dessus la jambe, jette un trouble dans cet univers où tous les excès étaient seulement perçus par le prisme de l’humour. De même que l’overdose subite de Lew dans le onzième épisode. De cette vie passée dans le plaisir intense et éphémère des fêtes et de la défonce, on apprécie que la réalité rattrape son sujet par la plus dramatique des manières.

Le challenge était peut-être trop grand. Difficile d’offrir une continuité à un récit bouclé. Des idées ont jailli, parfois très bonnes. Mais il a manqué cette flamme qui embrasa la saison passée. Et la tentation de reproduire une recette avec des ingrédients périmés fut bien trop grande. Enorme déception, de celle qui survient après les plus importantes réussites. Illustration d’un symptôme courant dans les productions télévisuelles américaines. Le cap de la seconde saison. On recense un malade de plus, comme on espère à son prompt rétablissement pour l’année prochaine. Hank Moody impuissant. Voilà une grande tragédie…

Dead Set, Big Brother is eating you

Dead Set Dans un élan anthropophage, la télévision se bouffe elle-même. En prenant pour point de départ Big Brother (le Loft Story anglais), les auteurs anglais exhibent l’envers du plateau/décors, les rouages de cette imposante machinerie. Façon de se regarder soi-même, tout en se critiquant. Avec ce soupçon de fierté quand il s’agit de se comparer. La real-tv, parent pauvre de la télévision. Production du rien, de l’insignifiant. Et mise en application du célèbre mot de Warhol : tout le monde aura le droit à ses quinze minutes de gloire.

Dead Set a la critique facile. Symbolique lourde que celui du spectateur zombifié. Régression intellectuelle, abrutissement du public, tous les principaux stigmates sont ainsi convoqués. Sans nuance (la grande messe du prime transformée, littéralement, en masse de zombis). Le propos est virulent, vindicatif et facile. Sans prendre de gants, au risque de s’aliéner une partie de son auditoire, forcément concernée. L’attitude est un rien primaire, comme un règlement de comptes : producteur tyrannique et odieux, participants écervelés, on verse dans la lourde caricature. Le message est clair. Même la réalisation est appliquée à la truelle : caméra à l’épaule fatigante, qui abuse de tremblements et mouvements approximatifs pour illustrer sa capacité d’immersion réactive à l’action (en opposition à la création de l’action). Filmage uniforme jusque dans les simples scènes de dialogues, avec ce cadre parkinsonien. Seule l’image vidéo siée au style direct, avec des couleurs délavés où même le rouge sang n’offre aucun éclat.

Le concept avait du potentiel. Le dispositif de la real-tv dans le cadre d’une invasion/pandémie devenait par essence très stimulante. Dans un monde détruit par les zombis, la diffusion, en boucle, de Big Brother faisait de cette émission la seule fenêtre publique vers et pour les survivants. Le spectacle vulgaire et voyeuriste par définition se transformait en une forme de communication à sens unique, porteuse d’espoir factice mais salvateur. L’exposition du quotidien dans sa plus banale expression. Une existence par procuration, comme un besoins de revenir à la normal.

Les scénaristes, plutôt que de creuser un sillon réflexif et théorique sur la notion de civilisation et son image, ont préféré une approche frontale, surfant sur une toute une généalogie des films de zombis. Axé sur l’action, Dead Set verse dans le conformisme du survival. Inclure une théorie positif autour de l’émission Big Brother et la real-tv instaurait une soudaine compromission à la charge vindicative soulevée plus haut. La progression du show suit les convenances. Différents points de vue initiales, création progressive d’un seul groupe jusqu’à son implosion. On aura, finalement, notre constat d’échec de la civilisation sur le versant de la communication.

Malgré tout, la série demeure sympathique et semble conçue pour un fan peu exigeant. Les zombis s’invitent rarement sur le petit écran. Du classicisme instauré, on en retire de l’hémoglobine coulant à flot, des maquillages gores très réussis et des séquences d’horreur efficaces. Les toutes dernières images (les plus belles du show), dans un cadre enfin immobile, accueillent une forme de sérénité. Presque poétique par sa démonstration d’innocence macabre. L’évocation ainsi soulignée est forte, subtile. Et l’on se prend de regrets. Ainsi traitée, la série se serait élevée bien au dessus de son niveau actuel.