Damages.jpg Damages nous rejoue le mythe d’Icare. Après avoir tutoyée les cimes d’une intrigue labyrinthique, la série chute. Trop près du soleil, la première saison ? Etre parvenu à s’élever au dessus du lot annuel de séries fut déjà une belle prouesse. Dans le contexte morne de la grève, son format lui permit d’assurer jusqu’au bout. Et même un peu plus loin. Seulement le challenge de maintenir l’altitude sembla trop grand. On se disait, avec naïveté, qu’après une telle maîtrise, les scénaristes savaient quelle direction prendre, qu’elle traitement appliquer. Toute cette première saison ne pouvait être un accident. En écrivant cette fin ouverte, ils s’entrouvraient la possibilité d’inscrire leur nom à la postérité. On a parié sur le mauvais cheval. Et si cette seconde saison n’efface en rien les qualités de la précédente, on ne peut que ressentir un brin d’amertume devant tant d’opportunités et d’espoir gâchés.

A posteriori, tout se joue sur les premières images. Comme la saison précédente, ce premier épisode débute par un flash-forward. Effet chromatique dispensable et impression gênante d’un monologue face caméra. Soumission à un principe narratif qui passe d’outil à gadget. Le double axe temporel, dans la première saison, se justifiait dans l’intersection, quand le présent/futur rejoint le passé/présent. Or comme la seconde saison n’opère aucune (ou volonté de) modification immédiate de la ligne narratrice, la balance n’est pas préservée et l’effet ne fonctionne plus. Détournement de la nature du show qui sacrifie sa sève de thriller économico-judiciaire en un procédé narratif, sorte de gimmick d’écriture. C’est d’une part mésestimer ses qualités scénaristiques, sa construction savante et efficace et d’autre réduire le show à un exercice de style. Enfin leurs apparitions laissées au hasard n’apportent plus aucune information intéressante, et leurs présences, aucune corrélation, même vague, avec la séquence précédente.

Passée l’immédiate déception, la frustration nous gagne. Si dans sa globalité, la qualité de cette saison est inversement proportionnelle à celle de la précédente, tout n’est pas à jeter et on peut même trouver des choses intéressantes. Car les enjeux sont nombreux et les scénaristes les exploitent (mal) quasi tous. De l’épée de Damoclès au dessus de la tête de Patty Hewes à la vengeance d’Ellen (contre Patty et Frobisher). Inscrit en filigrane dans une nouvelle affaire au potentiel énorme, on se demande comment les auteurs ont pu rater le coche à ce point. Toute la partition d’Ellen est figée sur le même mode : mâchoire serrée, œil au bord des larmes mais regard sombre. Une posture qu’elle tiendra toute la saison, en mode bi-registre. Le parcours de Patty est plus intéressant, mais seule sa relation avec son fils tiendra toutes ses promesses. Tom est laissé à l’abandon, Frobisher en amuseur public (même si son revirement zen s’inscrivait dans la logique du personnage, excessif).

Des nouveaux personnages ou la nouvelle affaire, on retiendra ce traitement en dépit du bon sens qui sacrifie toute excellence au profit d’un étale de choses éparses, voire insignifiantes. Une bouillie narrative qui exploite très mal des situations pourtant emprunte d’une charge plus puissante que l’affaire précédente. Dimension politique dans le milieu de l’énergie, thème très actuel en ces temps de grenelle de l’environnement. Son évolution au cours de la saison lui donne de l’ampleur et un visage protéiforme. On se surprend même de regretter un traitement aussi rapide, comme on ne parvient pas à saisir l’importance de tous ces enjeux. La faute encore à une narration trop décousue, qui place très mal ses personnages (Daniel Purcell disparaît sans donner de nouvelles pendant quatre ou cinq épisodes, Frobisher n’intéresse plus les scénaristes quand son implication maladroite dans la nouvelle affaire n’est plus d’actualité) et exploite jusqu’à la lie certaines situations (les rencontres avec le FBI, le trader cocaïnomane, le GPS). On vient à se demander si les auteurs n’ont pas tenté de courir trop de lièvres à la fois (Affaire d’empoisonnement + malversations financières d’UNR, meurtre de Mme Purcell, enquête du FBI, intrigue autour de l’Oncle Pete, vengeance d’Ellen contre Frobisher, contre Patty, le deuil d’Ellen et la liste n’est pas finie).

Il est amusant de noter que les deux agents du FBI que rencontrent Ellen sont deux personnalités importantes dans conception de la série. Mario Van Peebles, réalisateur et surtout Glenn Kessler crédité aux scénarii et comme créateur. Amusant parce que les séquences où ils apparaissent entraînent le rythme vers le bas, voire les abîmes dans un season final qui évente tous les flash-forward. Est-ce la volonté de se mettre en scène qui leur fait manquer de recul quant à la pertinence de ces séquences ? Créateurs et créatures, ils deviennent les boucs émissaires du naufrage de cette saison. Dans un final mou et pragmatique, les auteurs ont réduit les fenêtres d’évolution possible pour la troisième saison. Patty annonce à Tom qu’Ellen reviendra. Si cette dernière réplique s’avère prophétique, Damages aura alors passé le point de non retour.